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presidentielles 2007 , 2012 et 2017
23 février 2007

lalettre de RASTIGNAC

Valeurs Actuelles n° 3665 paru le 23 Février 2007

La lettre de Rastignac

La Cour des miracles


« Pour Mme de Saint-Fondrille, quel bonheur que tous ces malheurs !… »

Etiez-vous, mon cousin, lundi soir devant votre étrange lucarne ? À en croire les chiffres proprement stupéfiants dont se gargarisent depuis les amis de Mme de Saint-Fondrille, tout indique que vous avez assisté comme moi à l’affligeant spectacle qui nous a été donné de voir ce soir-là. La politique, en cette époque sans vergogne ni vertu, donne bien souvent une piètre image d’elle-même ; je crois bien, cependant, que jamais l’on n’avait été si loin dans le ridicule et l’abaissement.

Gracieusement accoudée à son lutrin,

marchant sans crainte à la rencontre du public,

elle a montré qu’elle avait l’usage du monde,

et un art consommé de la coquetterie.

Plutôt que d’une candidate en campagne, vous eûssiez

dit d’une vestale, que dis-je ?, d’une madone faisant

pleuvoir les grâces et les promesses sur son

peuple confit en dévotion.

composée en principe selon la loi arithmétique

de l’identité du tout et de la partie et censée

refléter fidèlement la physionomie du pays,

la France, cette assemblée de bègues,

de boiteux, de bigles et de bancroches !

Mais dites plutôt la Cour des miracles !

Jamais on ne vit en un seul lieu, rangés

comme poulets en épinette, tant de

malheureux, de malchanceux, de tristes

figures et d’éclopés de la vie. Il y avait

l’aveugle et sa mère, le paralytique sur son

atroce grabat, l’ivrogne congénital et l’ami

du moribond : toute la misère humaine qui

grattait ses plaies, montrait ses haillons

infects, agitait d’abominables sparteries

et prenait la terre entière à témoin de sa

désolation.
Je vous passe, bien sûr, les figures obligées

de la pauvreté ordinaire : le vieillard oublié

de Dieu et des hommes qui veut cependant

rester propre, la pauvre veuve placée

devant l’horrible obligation de sacrifier sa

vertu pour élever ses douze enfants, le jeune

homme qui, faute de pouvoir gagner

honnêtement sa vie, glisse sur la pente du

vice et de la truanderie, bref, tant et tant

de détresse, tant et tant d’atrocités, que les

quelques quidams qui, dans cet incroyable

pandémonium, vivaient tout bonnement de

leur travail et semblaient jouir d’une santé

ni meilleure ni moins bonne que vous et moi,

faisaient figure de sans-cœur, de privilégiés,

et finalement d’accusés.
Et dire que nous jouons les esprits forts !

Et dire que nous raillons les anciennes

superstitions ! Nos rois, jadis, touchaient les

écrouelles sur le parvis de Saint-Denis. Mais

nous y sommes, mon cousin,

nous y sommes

! Pour un peu, Mme de Saint-Fondrille eût

étalé de ses blanches mains un peu de

boue sur les yeux de l’aveugle. Et si, s’étant

agenouillée aux pieds du paralytique, elle

ne lui a pas lancé : « Lève-toi et marche ! »,

c’est qu’elle a considéré que les

applaudissements du public étaient, pour elle,

le plus beau des miracles…

En vérité, M. Kropoly et le chevalier du

Halga ont eu moins de chance dans les mêmes

circonstances.

Le premier a dû affronter

une horde de contradicteurs ; à les entendre

on eût dit que la moitié de la France sacrifiait

au vice asiatique. Le second, comme de coutume,

a été contraint de se défendre pied à pied

contre ceux qui lui reprochent sa cruauté envers

les sauvages et les mahométans. Et si l’un

et l’autre se sont fort bien tirés de l’épreuve,

ils le doivent à leur talent, fait à combattre et

à argumenter.

Tandis que pour Mme de Saint-Fondrille,

quel bonheur que tous ces malheurs ! Non

seulement les braves gens rameutés pour

la lucarne ne l’ont pas plus interrogée qu’ils

n’avaient interrogé ses devanciers sur la

diplomatie, la paix et la guerre, la question

d’Orient ou la querelle des Détroits (il faut croire

que ces sujets sont trop bénins pour être

abordés dans la grande élection), mais ils ont

oublié aussi de la mettre à la question sur

ce qui conditionne cependant l’accomplissement

de tout son programme.

Mme de Saint Fondrille

veut-elle augmenter les impôts, et sur qui ?

Pour financer l’augmentation des pensions,

compte-t-elle conserver la loi du Falard et revenir

sur les rentes privilégiées ?

Comment

pense-t-elle réduire la dette tout en recrutant

dans tous les domaines des armées de

fonctionnaires nouveaux ? Tout cela, nous ne

le saurons pas, mais nous savons qu’elle

écoute fort bien, qu’elle pleure à merveille,

et qu’elle sourit mieux encore.

Que demander de plus ?

Drôle de peuple, en vérité, que cette assemblée
Certes, Yolande de Saint-Fondrille était fort belle : sanglée dans sa mignonne tunique immaculée (le rouge, appréciez la finesse, est réservé aux assemblées jacobines), elle a su parfaitement déployer l’éventail de ses charmes et afficher en toutes circonstances ce beau sourire qui fait comme un masque sur son visage indéniablement distingué.

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