Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
presidentielles 2007 , 2012 et 2017
14 juin 2007

La refondation au PS

Refondation de la gauche ( 3 )


La nouvelle bataille des valeurs

Par Dominique Strauss-Kahn

« Pour conclure cette série de réflexions dans « le Nouvel Observateur »,

je voudrais dire quelques mots des valeurs qui peuvent guider la gauche a

ujourd'hui.

Nous critiquons le monde tel qu'il est et nous voulons le transformer,

mais nous ne pourrons le faire qu'en sachant ce que nous

voudrions qu'il soit.

Le socialisme du réel ne peut se passer de l'idéal d'une société juste.

Les Français exigent des partis des réponses concrètes

aux problèmes de leur vie quotidienne,

mais ils cherchent également dans le discours politique

une représentation de ce qu'ils font et peuvent faire ensemble.

De ce point de vue, nous n'avons pas perdu en ce

début d'année 2007 la seule bataille des p

rojets économiques et sociaux.

En laissant Nicolas Sarkozy imposer sa vision de la nation,

de l'ordre, du travail, du mérite,

nous avons aussi perdu la bataille des valeurs,

faute de l'avoir livrée avec nos armes.

Il y a, bien sûr, au coeur de la gauche, une aspiration

qui traverse les époques :

une soif de justice et de liberté,

une révolte contre la fatalité,

les privilèges et la domination,

un humanisme fondamental qui conduit à reconnaître

en chaque homme un alter ego.

Née des Lumières, elle a été portée par la Révolution française

puis par le mouvement socialiste dont nous sommes

les héritiers.

Elle nous survivra.

Mais cette aspiration ne suffit pas à nous définir.

Les valeurs elles-mêmes ne sont pas épargnées par le mouvement

du réel et de l'Histoire.

La gauche est une conscience collective qui cherche sa voie

à travers des expériences successives.

Nous avançons, nous tâtonnons, nous inventons des modèles ;

et à chaque époque nouvelle, nous devons tirer de ce que nous

avons appris de nos succès,

de nos erreurs

et de nos oublis aussi les leçons qui nous permettront

de reformuler notre vision du monde.


La liberté ordonnée

Les années 1960 et 1970 nous ont légué une cohérence

marxiste et libertaire :

alors que les libertés économiques étaient suspectes,

les libertés individuelles se trouvèrent sacralisées.

Cet héritage demeure notre socle.

Face à l'insécurité économique, aux dégâts écologiques,

aux inégalités sociales qu'il engendre,

nous persistons à vouloir réguler le capitalisme.

Contrairement aux libéraux, qui veulent « libérer »

le marché de toutes ses entraves,

nous continuons de penser, en sociaux-démocrates,

qu'il faut organiser la tension entre le capital et le travail.

Aussi nous efforçons-nous d'encadrer le fonctionnement du marché.

Mais, parallèlement, nous avons progressivement reconnu

que la liberté d'entreprendre était source

d'efficacité économique et créatrice de richesse.

De notre capacité à convaincre de la cohérence de ces

deux affirmations

- la nécessaire régulation du capitalisme et la nécessaire promotion

des entrepreneurs -

dépend, pour une bonne part, l'avenir de la gauche.

Il nous faut de même concilier la loi et l'ordre.

Frappée d'hémiplégie, la gauche a longtemps négligé

la répression, confiant à la seule prévention

le soin de garantir la sécurité.

Une pathologie symétrique conduit aujourd'hui la droite

à tout miser sur la répression.

Sanctionner sans faiblesse les atteintes à la loi après

avoir mis en oeuvre les moyens permettant d'éviter

la multiplication des infractions

: telle est la voie que doit emprunter un socialisme du réel.

Le moment est venu d'entériner cette évolution idéologique.

Pour traduire ce double rééquilibrage -

de la liberté et de la responsabilité,

des droits et des devoirs -,

j'aime à parler de liberté ordonnée. Les batailles sémantiques

et symboliques sont des batailles politiques ;

à l'heure où la droite engage une offensive caricaturale contre

l'esprit de Mai-68, je crois important de montrer

que la gauche est capable de faire bouger les lignes

sans pour autant céder en rien, ni dans les mots

ni dans les propositions, à l'idéologie de ses adversaires.


L'égalité réelle

Poser en principe que les seules inégalités sociales et économiques

acceptables sont celles qui bénéficient aux membres les plus défavorisés

de la société,

c'est donner un contenu concret à l'égalité.

Il ne s'agit pas d'éliminer les différences « naturelles »,

même si l'on sait à quel point elles sont socialement

et familialement conditionnées.

L'égalitarisme niveleur, qui est par exemple à l'origine d'utopies

scolaires comme celle du « collège unique »,

refuse aux plus mal lotis ( promus de classe en classe à l'ancienneté )

l'opportunité de progresser selon des rythmes et des méthodes

adaptés à leurs capacités réelles.

Parce qu'il bride les talents des plus doués, cet égalitarisme

est responsable d'une seconde injustice à l'endroit des moins favorisés :

les chances qu'ont ces derniers de bénéficier un jour du fruit

des efforts des premiers en sont diminuées.

La justice ne consiste pas à nier ou à entraver les talents

au prétexte de leur répartition arbitraire,

mais à les faire contribuer à l'amélioration des perspectives

des membres les moins bien dotés de la société.

La conception sociale-démocrate de la République,

ce n'est donc pas l'égalitarisme niveleur.

Mais ce n'est pas davantage l'ouverture d'une course inégale

à la domination telle que la prône Nicolas Sarkozy,

lequel semble faire sienne la formule de Hayek :

« A ceux qui ont, l'on donnera. »

Ma conception, c'est celle de la mutualisation des talents :

nous devons les regarder comme des atouts collectifs

et nous considérer mutuellement comme

les bénéficiaires des avantages résultant de leur

épanouissement.

Il n'y a rien de choquant à prétendre que l'activité collective

de la société est mieux à même que l'égoïsme individuel

de soutenir nos efforts, de susciter notre contribution,

et de rendre réalisable ce dont nous sommes capables.


La fraternité laïque

A la fragmentation du salariat qui érode le sentiment de classe,

à la mondialisation qui désarticule les Etats-nations s'ajoute

depuis quelques décennies la montée d'une forme

d'individualisme invitant chacun à cultiver son autonomie et à affirmer

sa différence.

Mais les solitudes et les angoisses qui accompagnent cette nouvelle

donne font aussi resurgir les besoins d'appartenance et

les revendications identitaires.

De nouveaux réseaux de communication et de sociabilité

se développent, de nouvelles références territoriales

ou religieuses apparaissent,

mettant sous tension la conception républicaine de la nation.

L'égalité réelle suppose le souci du bien commun.

Mais elle ne requiert pas l'uniformité des croyances,

des moeurs et des cultures.

Respecter l'égalité des droits des citoyens impose

de ne pas leur prescrire une manière de vivre

déterminée ou une conception particulière du bonheur privé

- fût-ce celle de la majorité d'entre eux.

C'est ainsi que la pluralité des orientations sexuelles appelle

de la part de la démocratie autant de respect que la diversité culturelle :

elle est une richesse que doivent accueillir favorablement les

sociétés libres, un des innombrables moyens par lesquels

ces dernières échappent à l'uniformité.

Il y a toutefois un point sur lequel nous ne devons pas,

à mon sens, transiger : notre refus d'une communautarisation insidieuse

de la société et de l'espace public qui,

en enfermant les individus dans des identités figées

et en imposant une représentation ethnicisée de la société,

perpétuerait durablement les inégalités. Loin de tout

archaïsme, notre attachement viscéral à la laïcité

reste, de ce point de vue, un combat pour l'émancipation et l'égalité.

Là aussi, la doctrine de la gauche doit faire la part entre

la fidélité à son héritage idéologique

et la prise en compte des nouvelles réalités sociologiques.

L'hospitalité que la démocratie accorde aux différences

n'est pas faite d'indifférence aux individus et aux valeurs :

elle résulte de la séparation à laquelle procède la démocratie

entre le public et le privé d'une part, le politique et le

religieux d'autre part. La démocratie ne peut donc

admettre qu'au nom de leur singularité personnelle ou

de leur particularisme culturel des individus ou des

groupes remettent en question la laïcité, condition

même de la tolérance dont ils bénéficient.


Le progrès maîtrisé

Comment achever l'esquisse d'une refondation de la gauche

sans revenir sur la notion de progrès ? Cette dernière

n'est plus à la mode.

Le repli sur elle-même d'une société inquiète laisse douter

du progrès social ; les bouleversements

environnementaux font voler en éclats l'illusion de l'asservissement

sans limites de la nature ; l'émergence de nouvelles

interrogations morales, liées par exemple à l'utilisation des

cellules souches ou des OGM, effraie autant qu'elle fascine.

La défiance qu'inspire l'idée de progrès se nourrit de

l'opacité qui entoure les expérimentations scientifiques

comme les grands choix technologiques, notamment

en matière énergétique. Aussi est-il sans doute nécessaire

de placer ceux-ci sous un rigoureux contrôle démocratique.

Mais refuser toute dérive scientiste ne nous dispense pas de

renouer avec le règne de la raison, qui est, depuis deux

siècles, la marque des progressistes. Rejeter frénétiquement

l'expérimentation scientifique, s'abriter couardement

derrière la recherche du « risque zéro », voilà qui

pave la voie d'un retour de l'obscurantisme que

la vénération de la nature tente d'habiller idéologiquement.

C'est, ici encore, l'identité même de la gauche qui est en jeu.

Réel et donc rationnel : tel est le socialisme

que je veux aider à refonder.

Publicité
Commentaires
presidentielles 2007 , 2012 et 2017
Publicité
Publicité